
02.
Quel avenir
pour l'atome?
AVEC 58 RÉACTEURS NUCLÉAIRES EN ACTIVITÉ, LA FRANCE EST LE PAYS LE PLUS "NUCLÉARISÉ" DE LA PLANÈTE. MAIS CETTE POLITIQUE DU TOUT NUCLÉAIRE EST DE PLUS EN PLUS REMISE EN QUESTION. ACCIDENTS, DURABILITÉ, COUTS... L'ATOME N'A PLUS LE VENT EN POUPE.
Le nucléaire dans le monde.
11,7%
POURCENTAGE DU NUCLÉAIRE DANS LA PRODUCTION MONDIALE D'ÉLECTRICITÉ
437
LE NOMBRE DE RÉACTEURS EN ACTIVITÉ DANS LE MONDE
68
LE NOMBRE DE RÉACTEURS EN CONSTRUCTION DANS LE MONDE
144
LE NOMBRE DE RÉACTEURS ARRÉTÉS DÉFINITIVEMENT

Le nombre de réacteurs par pays.
L'exception française.
Avec un politique initiée depuis les années 60, la France apparait comme le pays le plus "nucléarisé" de la planète. Si avec 58 réacteurs contre 103, elle en a moitié moins qu’il n’y en a sur le sol américain, 74% de sa production d’électricité vient directement du nucléaire. Outre Atlantique, ce chiffre est de 18%.
Cette politique d’investissements massifs dans l’atome n’est pas l’apanage de l’hexagone. Dans les années 80, la plupart des pays d’Europe, petits par leur superficie et faiblement dotés en hydrocarbures font le choix de l’énergie atomique.
Avec 4 réacteurs qui représentent 53% de sa production d’électricité, la Slovaquie est aujourd’hui au deuxième rang mondial des pays qui dépendent le plus du nucléaire. Le constat est le même de l’autre côté des Ardennes, en Belgique. Le Royaume compte 7 réacteurs qui produisent à eux seuls 51% de l’électricité du pays.
L’électricité constitue 22,9% de l’énergie consommée en France et atteint, chaque année, 531,3 TWh. Près des 3/4 de cette énergie est produite dans les centrales nucléaires du pays.


France et Allemagne, deux visions de l'énergie.
L'Energiewende, l'exemple
allemand
Difficile de sortir de plus d’un demi-siècle d’exploitation nucléaire, même si l’Allemagne s’est engagée sur ce point. Notre voisin outre-Rhin n’a pas les mêmes habitudes de production que l’hexagone. Le nucléaire n’occupe pas une place essentielle pour eux, avec 13,1% de leur production d’électricité en 2016. C’est notamment pour cette raison que le pays représenté par la chancelière Angela Merkel s’est engagé à sortir définitivement du nucléaire en 2020, au profit des énergies renouvelables.
Une décision remarquable, ou du moins remarquée au sein d’une Europe plutôt unanime quant à l’état de la planète, mais brouillonne sur l’organisation de son sauvetage. La fermeture progressive des centrales nucléaires en Allemagne n’a pas pour autant augmenté la part du charbon dans la production d’électricité. Même si cela reste de loin, avec 40,1%, le moyen n°1 pour avoir du courant, sa part baisse progressivement au profit du renouvelable, qui atteint 29,5% en 2016. Lors d’un week-end où la météo s’y prêtait, l’Allemagne a produit 85% d’électricité grâce aux énergies renouvelables, un véritable record, tel que les centrales à charbon n’ont pas fonctionné pendant ces deux jours.
Problème, l’Energiewende (terme allemand pour transition énergétique) provoque une attitude mercantiliste de l’Allemagne. En effet, de l’aide massive à l’investissement pour les énergies renouvelables en découle un excédent de production des éoliennes. Une énergie exportée notamment vers la France, à travers les interconnexions.
Une énergie bon marché qui est bénéfique aux consommateurs européens, mais qui coûte beaucoup d’argent aux producteurs d’électricité plus « classiques », car leur « produit » est moins rentable. Cette surproduction a pour conséquence un manque à gagner de 35 à 45 millions d’euros, pour les seules centrales thermiques françaises. Cet investissement trop conséquent par rapport aux objectifs ne devrait pas être cautionné par la Commission Européenne, qui valide les budgets en proportion des projets. Un dumping pas explicitement contesté, mais qui bloque pour l’instant une politique commune de l’Union Européenne pour la transition énergétique.
Nous créons en même temps des perspectives d'avenir pour un approvisionnement en énergie compétitif, respectueux du climat et assurant des emplois

Pourcentage du renouvelable dans la production d'électricité
en France et en Allemagne .
Signé par les principaux groupes énergétiques allemands (RWE, E.ON, Vattenfall et EnBW, cet accord prévoit une "sortie ordonnée du nucléaire". A l’époque, Gerarhd Schröder, fraichement élu chancelier qualifie ce projet de « réforme essentielle pour son gouvernement ». Le chancelier voit la sortie du nucléaire comme de « nouvelles perspectives d’avenir » pour l’Allemagne. « Nous créons en même temps des perspectives d’avenir pour un approvisionnement en énergie compétitif, respectueux du climat et assurant des emplois. » Il fallait mettre en place « des centrales efficientes ».
Cette politique est décidée conjointement par le gouvernement et les exploitants des centrales. Une politique contre laquelle certaines voix s’élèvent aujourd’hui outre-rhin. Chez les exploitants « Schröder voulait un accord avec les électriciens, mais sans devoir les compenser » explique Gerard Hennenhöder (ancient dirigeant de l’autorité de sûreté nucléaire allemande et qui a par la suite conseillé E.ON) aux Echos contestée aujourd’hui. De même que chez les militants écologistes qui pour quoi, le nucléaire a laissé la place au charbon. Un problème remplacé par un autre.
A l’époque, l’accord est gagnant-gagnant : le contrat signé permet aux exploitants de produire de l’électricité pendant 32 avec 14 réacteurs : « ce délai correspondait grosso modo à la durée d’amortissement des centrales et respectait les droits de propriété des entreprises », pour Hennenhöder. L’accord permet à la coalition entre le Parti Social-Démocrate et les Verts de remplir sa promesse de campagne de faire fermer des centrales et aux exploitants d’avoir une visibilité. Ces derniers misent également sur un retour au pouvoir des chrétiens-démocrates (CDU-CSU) qui promettent de faire le chemin inverse quand ils reviendront au pouvoir. Ce qu’ils vont faire en 2010. Mais, en 2011, l’accident nucléaire de Fukushima change la donne. Le gouvernement Merkel fait volte-face et décide de fermer huit centrales et d’abandonner progressivement le nucléaire avant en ligne de mire l’arrêt complet d’ici 2022.

Outre-Rhin, la sortie du nucléaire est prévue pour 2022.
17
CENTRALES NUCLÉAIRES
DÉMANTELÉES
1000
MILLIARDS, LE COÛT AVANCÉ
DU DÉMANTELEMENT
80%
D'ÉNERGIES RENOUVELABLES
EN 2050
Réacteurs démantelés ou en cours de démantèlement en Europe .
140 réacteurs sont actuellement arrêtés dans le monde et 60% d’entre eux se trouvent en Europe. Un rapport de la Cour des Comptes publié en 2012 dressait un bilan : "D'après les statistiques de la World Nuclear Association, association qui regroupe des producteurs d’électricité d’origine nucléaire, 14 réacteurs ont cessé de fonctionner à la suite d’un accident ou d’un incident sérieux, 22 ont été fermés à la suite de choix politiques et 97 ont été arrêtés pour des raisons de rentabilité économique".
Alors pourquoi démanteler son parc nucléaire ? Principalement pour des raisons politiques et/ou économiques. Comme en Allemagne, l’accident de Fukushima Daiichi a eu valeur d’électrochoc dans de nombreux pays européens. La Suisse a décidé que les centrales actuelles seront mises à l’arrêt de manière définitive à la fin de leur durée de vie, soit à l’horizon 2020. Même constat en Belgique, où la sortie du nucléaire est planifiée pour 2025.
Si les étoiles sur le drapeau de l’Union Européenne représentaient les pays membres, celle de la France brillerait essentiellement grâce à l’atome. Avec 76% de son électricité produite par les centrales nucléaires, la question, se pose : le pays est-il dépendant de l'énergie atomique ?
Si la politique de tout nucléaire a été poursuivi par les gouvernements successifs, qu’ils soient de gauche ou de droite, les avis sur la "nucléaro-dépendance" divergent. Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement, déplorait en janvier 2017 "une trop forte dépendance" au nucléaire. "Dès qu’il y a plusieurs réacteurs à l’arrêt pour des raisons de contrôles de la sûreté nucléaire par l’ASN, on se rend compte qu’il y a une tension sur l’énergie".
En juin 2012, Arnaud Montebourg, ministre de l’économie au sein du même gouvernement que Mme Royal avait un tout autre point de vue : "avec une augmentation continue de la consommation des ménages et industrielle, même en maintenant notre parc de centrales actuel, la question est de savoir si nous allons continuer à investir. Pour ma part, je considère que le nucléaire est une filière d’avenir". Pour le ministre, il s’agissait, à l’époque, de ne pas abandonner le nucléaire "mais de le rééquilibrer".

On fermera peut-être jusqu’à dix-sept réacteurs, il faut qu’on regarde
En France, la fin de l'atome ?
Une partie de la classe politique défend le leadership français en matière de nucléaire et évoque le fameux concept : nucléaire = 0 émission de CO2. Un point de vue partagé par Christian Pierret, ancien Ministre délégué à l’Industrie en 2012 dans un éditorial du Huffington Post. "Notre pays assure un leadership mondial incontesté et une maîtrise technique remarquable de la filière du nucléaire, cas hélas trop rare pour ne pas trancher sur celui d'autres secteurs industriels. Il serait suicidaire de sacrifier un de nos points d'excellence mondiale".
Pour l'ancien ministre, le nucléaire est le garant d’une politique énergétique moins polluante. "Contrairement à l'idée répandue, abandonner le nucléaire au profit d'autres sources énergétiques n'est pas aussi simple. Pour satisfaire une idéologie, le risque est grand d'aggraver le mal ! Certains Etats font ce pari, mais à un coût écologique élevé. Ainsi, le Danemark, autoproclamé "pays le plus vert" d'Europe, montre ses éoliennes dans ses films de propagande mais utilise du charbon pour produire près de 50% de son énergie électrique. Le Danois produit 63% de CO2 de plus par habitant que le Français."
Des propos qui s’avèrent erronés dans le cas du Danemark, pays dans lequel les énergies renouvelables représentent 64% de la production d’électricité dont 43% passe par l’éolien selon l’International Energy Agency. Si le Danois produit plus de CO2 par an que le français, le chiffre avancé de 63% est également erroné. Quand un habitant de l’hexagone produit, en moyenne, 4,572 de tonnes métriques par an, un citoyen danois en produit 5, 936. Le Royaume rejette d’ailleurs moins de CO2 que la France avec 35 MTCO2 contre 340 MTCO2.
Depuis le 18 août 2015, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte ou (LTECV) est en vigueur. Ses objectifs ? Créer un nouveau modèle énergétique en encourageant une « croissance verte » et en réduisant la facture énergétique de la France. L’article L.100-4 fixe dix objectifs à atteindre d’ici 2020 à 2030, parmi lesquels "réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2025."
Le pays le plus nucléarisé de la planète peut-il y parvenir ? Est-ce un objectif réaliste et réalisable ? Les dernières déclarations du Ministre de l’Ecologie ne vont pas dans ce sens. Après avoir réfléchi à la possibilité de fermer, « peut-être », dix-sept réacteurs d’ici 2025, « L’homme qui veut sauver la Terre » a fait marche arrière le 7 novembre dernier. « Si on veut maintenir la date de 2025 pour ramener le nucléaire à 50 % [du « mix » électrique], ça se fera au détriment de nos objectifs climatiques, et d’ajouter « le président de la République a demandé au gouvernement d’établir (…) une nouvelle trajectoire ambitieuse d’évolution de notre “mix” électrique qui permette d’atteindre le plus rapidement possible les objectifs fixés par la loi de transition énergétique ».
Une marche arrière, donc, enclenchée par le gouvernement qui rechigne à réduire la part du nucléaire dans le mix-énergétique français.
le nucléaire fait
partie du monde
d'y hier
Il sera difficile de tenir ce calendrier de 2025, sauf à relancer la production à base d'énergies fossiles
le nucléaire fait
partie du monde
d'y hier
Cette mesure était pourtant couchée noir sur blanc dans le programme du candidat Macron : « Nous réduirons notre dépendance à l’énergie nucléaire, avec l’objectif de 50% d’énergie nucléaire [dans la production électricité] à l’horizon 2025. »
Autre point qui fait grincer des dents du côté des associations environnementales : la fermeture des centrales. Egalement, dans son programme de campagne, Emmanuel Macron disait vouloir attendre de « disposer de tous les éléments nécessaires » pour prendre les décisions stratégiques. Le Président de la République et le gouvernement devaient ainsi se baser sur les conclusions de l’ASN pour la « prolongation des centrales au delà de 40 ans ».
A l’origine prévu pour 2018, le rapport de l’Autorité de Sûreté Nucléaire sera finalement rendu courant 2021. Juste avant la fin du quinquennat. Le gouvernement ne pourra pas se baser sur les conclusions du « Gendarme de l’atome » pour prendre ses décisions.

AREVA, un colosse aux pieds d'argile.
DU CAPITAL DÉTENU PAR L'ÉTAT FRANÇAIS
92%
7
MILLIARDS D'EUROS. C'EST LE MONTANT DE LA DETTE D'AREVA
5
MILLIARDS D'EUROS. LA RECAPITALISATION D'AREVA PAR L'ÉTAT
En six ans, l'endettement d'Areva a fait
un bond de 365%.
Cette frilosité à sortir de l’atome peut s’expliquer, en partie, par les investissements massifs de l’Etat dans les programmes nucléaires depuis une quarantaine d’années.
Fondée en 2001, l’entreprise AREVA est le fruit de l’union entre Congema, Framatome et CEA Industrie. Ce géant de l’énergie atomique est détenu à 67% par… l’Etat français. Dans les faits, les pouvoirs publics contrôlent 92% du capital de la société, avec les 25,17% détenus par le CEA.
En mars dernier, l’entreprise annonçait une perte nette de 665 millions. Un chiffre en baisse par rapport à l’exercice précédent. Au delà, le groupe affiche surtout un endettement record de 7 milliards d’euros. Des difficultés endurées par l’entreprise publique depuis une dizaine d’années, amplifiées par un ralentissement de l’activité nucléaire à travers le monde après l’accident de la centrale nippone de Fukushima. En six ans, entre 2006 et 2012, la dette de l’entreprise a fait un bon de 365%. En parallèle, le chiffre d’affaire du leader mondial du nucléaire à fondu de moitié, passant de 9 104 millions d’euros à 4 199 entre 2010 et 2015.
L'Etat, actionnaire majoritaire..
Autre point chaud, la nouvelle génération de réacteurs, les fameux EPR (Réacteur Pressurisé Européen). D’une puissance électrique de 1600 MW, soit presque le double de la génération précédente, les derniers nés d’AREVA étaient censés assurer un avenir radieux à l’entreprise. Mais, depuis une dizaine d’années, date à laquelle ont débuté les travaux, les problèmes s’accumulent.
Actuellement, un réacteur est en cours de construction à Flamanville (Manche), un autre en Finlande et à Hinkley Point, au Royaume-Uni. L’entreprise français construit également en Chine, deux réacteurs de nouvelle génération.
Seulement, la quasi-totalité des chantiers accusent des retards. A Flamanville, la livraison était prévue pour 2012 avec un coût prévisionnel estimé à 3 milliards d’euros. Cinq ans plus tard, la construction de l’EPR n’est pas achevée et la facture pourrait atteindre les 10,5 milliards d’euros selon l’ASN. Une situation que dénonce l’Organisation Non Gouvernementale Greenpeace : "le projet de nouveau réacteur EPR constitue un nouveau risque nucléaire que l’on va imposer à la population".

lancée en 2007, la construction doit s'achever en 2018, avec 5 ans de retard. le coût initial de 3 milliards d'euros et multiplié par 3 pour atteindre 10,5 milliards.
Dans un rapport sur le site de Flamanville, l’ONG remet en cause la sécurité du nouveau réacteur présenté par Areva comme une innovation à "un niveau sans pareil" de sécurité permettant de réduire drastiquement les "probabilités d’accidents graves ainsi que leurs conséquences pour l’environnement". John Large, l’auteur du rapport, dénonce un "nouveau risque nucléaire", imposé aux populations. L’ingénieur anti-nucléaire qui a déjà travaillé avec Greenpeace à plusieurs reprises pointe du doigt la manque de sûreté de l’installation : "Loin d’être le réacteur le plus sûr au monde comme le scande EDF, l’EPR sera au contraire le réacteur potentiellement le plus dangereux au monde tant il va concentrer de la radioactivité".
Le Britannique met également en cause le combustible utilisé par cette nouvelle génération de réacteurs : le MOX, à base de plutonium et non d’uranium enrichi. Selon les chiffres avancés par l’ingénieur, les conséquences seraient majeures pour les populations environnantes.
"320 personnes mourraient dans les tous premiers jours et 2000 personnes tomberaient malades, avance-t-il. Près de 30 000 personnes développeraient un cancer mortel". En cas de scénario catastrophe, l’expert estime qu’il faudrait évacuer 3 millions de personnes sur une zone plus grande que la Haute et Basse-Normandie réunies.

La fin d'une ère.
Fermeture progressive des centrales, investissements dans les énergies renouvelables ou retour à des énergies fossiles… de nombreux états ont enclenché une politique de "dénucléarisation". Si la part d’électricité produite par les réacteurs a augmenté de 1,4% en 2016, grâce à une hausse de 23% de la production chinoise, la filière du nucléaire civil est sur le déclin. Des 68 réacteurs en service en 2013, 52 sont encore en activité souligne le World Nuclear Industry Report.
La France, elle, continue mordicus à investir dans l’atome. Les avantages du nucléaire civil sont nombreux : une électricité bon marché, parmi les moins chères d’Europe, des rejets de gaz à effet serre limités, des emplois et une entreprise contrôlée par l’Etat leader mondial du marché.
Alors, faillite de la filière ou souffle nouveau ? L’année 2017 a été marquée par les pertes importantes des poids lourds du marché. Areva cumule une dette de 7 milliards d’euros en 2016. Quant à Toshiba, l’entreprise a déposé le bilan de Westinghouse, sa filiale américaine.